Bienveillance versus gentillesse, dans le cadre du déconfinement et de l’exercice libéral
Il est une notion qui porte souvent à confusion, et qui est à l’origine de bien des difficultés sur le plan relationnel, que ce soit dans le champ de l’intimité comme dans celui de l’espace public. Il s’agit de celle qui distingue la gentillesse de la bienveillance. La confusion entre ces deux sœurs ennemies est si commune qu’elle mérite d’être relevée et que ses effets pervers se manifestent y compris dans la gestion de cette crise de Covid19 que nous traversons, malgré les enjeux dramatiques (de vie ou de mort) qu’elle comporte.
« Gentillesse : Caractère de quelqu’un qui est gentil, agréable, gracieux. Caractère de quelqu’un qui est d’une complaisance attentive et aimable » (Larousse).
« Bienveillance » : L’EmetAnalyse définit la bienveillance comme « la disposition à veiller au bien de soi d’abord et de l’autre ensuite ». On comprend alors qu'il s'agit de "bien-veiller" dans l'intérêt du plus grand nombre.
L’opinion public ne s’y trompe pas d’ailleurs, qui dans sa grande majorité a accepté un confinement désagréable qui n’est pas « gentil », pour la bonne raison qu’il protège le plus grand nombre. En revanche elle s’est insurgée dès l’annonce d’un possible maintien du confinement pour les personnes âgées après le 11 mai, parce qu’appliqué à l’excès (dans le temps), sans discernement, en stigmatisant une catégorie de population alors qu’une majorité en serait exemptée, le confinement cesserait alors d’être bienveillant pour devenir maltraitant !
Pour mieux illustrer cette distinction, j’aimerai citer pour exemple les dispositions que nous serons amenés à prendre dans l’exercice de notre activité libérale, à partir du 11 mai prochain, et que nos fédérations et syndicats professionnels nous communiquerons si nous avons la chance d’être fédérés, ou à défaut sur lesquelles certains praticiens de professions non réglementées réfléchissent déjà de façon autonome. Dans ce contexte, j’ai été extrêmement surprise par la réaction de quelques collègues praticien(nes) qui, à l’évocation de mesures de protection et de sécurité - comme de ne pas proposer de sièges en salle d’attente ou d’en limiter l’accès à une seule personne à la fois, ou encore de supprimer le mobilier non désinfectable (sièges tissus, tapis, déco), de limiter l’accès aux toilettes aux seules « urgences », etc. - se sont insurgés en prétextant que tout ceci manifestait « un manque d’empathie et de réalisme » et une « attitude dépourvue d’amour » indigne d’un(e) thérapeute, et procédait d’une « panique irrationnelle » tout en la renforçant… Ils voudrait par « gentillesse » contraindre le moins possible et effacer autant que faire ce peut la réalité d’une pandémie anxiogène, dans un grand élan empathique qui ressemble fort à la politique de l'autruche !
NB : les mesures citées plus haut sont déjà ce que les kinésithérapeutes et les ostéopathes ont obligation de mettre en place. Sauf preuve contraire, ces professionnels ne manquent ni d’"empathie" ni de "cœur", ni de "rationalité".
On voit bien comment cette forme de « gentillesse », si elle protège sur le moment le client d’une émotion négative présumée (qui reste à démontrer), n’en expose pas moins ce dernier à un risque mortel réel à moyen terme (quant à lui largement démontré), alors qu’il est de la responsabilité du praticien de mettre en place et de garantir autant que faire se peut les conditions sanitaires qui protègent ses clients comme lui-même, dans le cadre de son activité. Rappelons simplement le principe N°1 de la déontologie : « primum non nocere ! » (en premier lieu, ne pas nuire).

Par ailleurs, c’est ignorer totalement les rouages de la psyché humaine que de croire que des mesures contraignantes génèrent automatiquement la peur ou le mécontentement. Ce même argument erroné se rencontre à longueur d’année en consultation de coaching parental, de la part de parents débordés par des enfants devenus ingérables parce qu’on ne leur a jamais posé de limites, sous prétexte de ne pas les contrarier. En réalité, cela dit plus de la difficulté dans laquelle se trouvent ces parents pour gérer leurs propres émotions. Et l’on découvre, lorsque les parent cessent de vouloir être « gentils » et posent enfin à leurs enfants les limites bien-veillantes et les sanctions qui les bordent, que l’enfant non seulement les accepte mais que leurs troubles anxieux disparaissent ! Ce qui fonctionne avec les enfants fonctionne également dans le registre de la vie collective, par l'intermédaire de la loi consentie par tous parce qu'elle protège, encore une fois, le plus grand nombre.
On peut donc en conclure que ces mesures d’hygiène contraignantes (elles le sont d’ailleurs autant pour le thérapeute que pour son client) sont d’une part un gage de professionnalisme et de bienveillance, voire même de bientraitance puisque l’on peut avoir à faire dans nos cabinets à des personnes fragilisées, et d’autre part qu’elles offrent aux clients la protection grâce à laquelle ils s’autoriseront à se déplacer pour consulter, protection sans laquelle ils pourraient y réfléchir à deux fois, par crainte de mettre leur vie et celle de leurs proches en danger.
Il reste à espérer que chaque praticien saura mettre en place ces dispositions bienveillantes qui protègent à la fois ses consultants et lui-même, à défaut de quoi il prendrait le risque de s’exposer, et de nombreux collègues par extension, à des sanctions collectives dont la réalité économique de nos activités se passerait bien.
Bien à vous,
C. GORMAND